
L’objectif, c’est de relier Pau à Saragosse"
souligne Alain Rousset, le président de la région
Alain Rousset : « On parle d’un potentiel de 500 000 voyageurs par an jusqu’à Canfranc. »
Nicolas Sabathier
Par Eric Bély, publié le 21 juin 2016, modifié le 23 juin 2016.
Alain Rousset, président de la future Nouvelle Aquitaine,
rappelle les enjeux énormes de l’ouverture de la ligne
ferroviaire Oloron-Bedous. Avec comme objectif la liaison vers
Saragosse.
La délibération de l’ex-Région Aquitaine date de 1999 : «
Etude de remise en état de la ligne ferroviaire Oloron-Canfranc ».
17 ans plus tard, au bout d’un long parcours d’obstacles
qui a longtemps donné au projet l’allure d’un
serpent de mer, voilà que le rêve aspois d’Alain
Rousset s’apprête à devenir réalité
(premières circulations commerciales le 26 juin et inauguration
le 1er juillet).
Tout à son émotion, le président de la future
Nouvelle Aquitaine n’en a pas moins le regard tourné vers
les Pyrénées et au-delà jusqu’à
Saragosse. Car, et Alain Rousset est le premier à le marteler,
l’Oloron-Bedous ne prendra tout son sens que si elle trouve son
prolongement jusqu’en Espagne.
Rousset assume le coût de 102 millions d’€
Y a-t-il beaucoup de collectivités qui ont pris le risque d’assumer seules un tel chantier ?
« À ce niveau-là, non, estime Alain Rousset.
Mais d’autres Régions, d’autres Départements
se sont engagés dans ce type de risque. Le Futuroscope
était un investissement considérable. Je crois
qu’il faut que les pouvoirs publics s’engagent dans des
projets à la fois de développement durable et
d’infrastructure. En voyant loin. La question avec
l’Oloron-Bedous, c’est : anticipe-t-on trop ? Je ne pense
pas ».
L’autre
question, c’est le coût de l’Oloron-Bedous (102
millions d’€) sans garantie que cela débouche sur une
liaison jusqu’à Canfranc.
« Je regrette que l’État n’ait pas
participé. Et que ses services, en retardant le dossier, aient
fait que l’Europe ne l’ait pas fait non plus. Et à
titre de comparaison, connaissez-vous le coût du contournement
routier d’Oloron ? 77 millions d’euros. la
différence n’est pas énorme même si je sais
que la route est plus chère que le fer ».
Vous avez
porté sur vos épaules la réouverture de la ligne
Oloron-Bedous ? Quel sentiment vous anime à quelques jours de
l’inauguration ?
Alain Rousset : Il ne faut pas ramener la rénovation de la ligne
Pau-Oloron-Bedous-Canfranc-Saragosse à ma personne. Une
réouverture d’une ligne de chemin de fer, ça
marque. C’est d’abord de l’émotion. Mais il
est vrai que j’ai pesé de tout mon poids. Ai-je besoin de
décrire la beauté fantastique des paysages de la
vallée d’Aspe ? Ai-je besoin de relater l’histoire
incroyable de la construction de cette ligne qui a donné un des
plus beaux patrimoines ferroviaires d’Europe ? Ai-je besoin enfin
de rappeler qu’il y a un camion par minute dans cette
vallée ? Ce projet marie de manière optimale
préservation de l’environnement et mobilité durable
et intelligente.
Durant toutes ces années, avez-vous douté que ce projet puisse se réaliser ?
Jamais. Si j’avais douté, la réouverture ne se
ferait pas. Et je ne doute pas non plus qu’il faille aller
jusqu’en Espagne. Il y a pourtant eu des écueils majeurs
comme à l’époque la mauvaise volonté de
Bercy qui a bloqué le dossier au conseil d’administration
de Réseau ferré de France, alors que l’Europe
était prête à s’engager. C’est Lionel
Jospin qui a permis de débloquer la situation.
Cette inauguration de ligne est-elle pour vous un aboutissement ou bien le début d’une histoire ?
C’est d’abord le début d’une histoire. Il a
fallu lever un certain nombre d’obstacles, mais il y aura
d’autres combats à mener. Néanmoins, pour la
vallée d’Aspe, cette réouverture est le symbole de
la confiance dans son développement. Loin du pessimisme ambiant
que je trouve dans trop de discours. Quand on parle de
l’Oloron-Canfranc, il faut se projeter aussi par exemple sur la
desserte possible de trois stations de ski : celle du Somport,
Candanchù et Astùn.
La suite de l’histoire, la prolongation jusqu’à Canfranc, comment la voyez-vous concrètement ?
Nous allons lancer un appel à manifestation
d’intérêt. On sait déjà que nous
aurons des propositions. Des entreprises ferroviaires privées
sont venues nous voir.
Mais on parle d’un coût de 400 millions d’euros...
Pour moi, c’est entre 300 et 400 millions. On peut limiter le
coût d’investissement et de maintenance en faisant appel
à un prestataire gestionnaire d’infrastructures. Il faut
ensuite assurer des coûts d’exploitations
compétitifs pour le fret et favoriser le trafic voyageurs en
créant une offre touristique attractive. On parle d’un
potentiel de 500 000 voyageurs par an jusqu’à Canfranc et
d’1 à 1,5 million de tonne de marchandises.
La ligne est-elle techniquement adaptée au fret ?
Il n’y a pas de souci. Les techniques d’adhérence du train sur une pente importante sont au point.
Mais peut-on espérer aller jusqu’à Canfranc sans la participation de l’État ?
Je souhaite bien entendu que l’État participe. Mais
à un moment donné, il faut savoir anticiper
l’avenir de notre société. Imaginez la
possibilité pour les habitants de Pau d’être en
1 h 30 sur les pistes du Somport, de Candanchu ou d’Astun.
Imaginez que vous partiez avec votre sac à dos de Bordeaux pour
descendre 3h30 plus tard à Bedous et aller faire du parapente.
Déjà, simplement l’annonce de la réouverture
a généré 30 000 à 40 000 réponses
sur le site du syndicat de tourisme !
Si jamais la ligne n’allait pas jusqu’à Canfranc, l’Oloron-Bedous aurait-elle du sens ?
La ligne ira jusqu’à Canfranc. L’objectif
c’est de relier Pau à Saragosse qui est la principale
plate-forme de fret d’Espagne. Et il y a une réelle
demande de la part des entreprises espagnoles.
Comprenez-vous que ce projet ait pu être contesté y compris politiquement ?
En politique, je pense qu’il faut oser plutôt que se
moquer. Le rôle d’un responsable public est
d’investir sur l’avenir, d’innover, et parfois de
bousculer, oser... Et depuis une quinzaine d’années, la
Région a beaucoup osé sur l’innovation. À
chaque fois, il y a des critiques. Louis Barthou à son
époque a essuyé les mêmes critiques que celles
adressées aujourd’hui avec les mêmes débats
nourris par un mélange de pessimisme, d’absence
d’audace et de manque de prise en compte de la dimension magique
de cet événement.
Quels sont vos objectifs en terme de fréquentation et de rentabilité sur l’Oloron-Bedous ?
On ne peut pas en donner aujourd’hui. L’objectif,
c’est de créer une ligne à travers les
Pyrénées, d’avoir un meilleur réseau
côté français et côté espagnol. On a
modernisé le tronçon Pau-Oloron, et avec la partie
Oloron-Bedous, on est à 3 km de Toyal. Si un jour l’usine
est bloquée par la route, elle pourra être desservie par
le fer. Enfin, la sécurité de la RN 134 a
été améliorée entre Oloron et Bedous
grâce à la ligne puisque les falaises ont
été confortées de part et d’autre.
Avec cette ligne, vous faites un pari sur l’avenir. Risque calculé ou coup de poker ?
Dans tout investissement majeur, il y a une part de risque. Mais ce
qu’il faut comprendre, c’est que c’est
l’investissement d’un siècle, un peu comme la LGV.
Ce n’est pas un investissement dont la rentabilité est
à mesurer à l’échelle du quotidien.
L’enjeu est d’organiser une liaison entre l’Aragon
dont la capitale est la plaque tournante du fret en Espagne et le Nord
de l’Europe. L’enjeu, c’est de redonner vie à
un patrimoine exceptionnel. L’enjeu, c’est le
développement économique et touristique de la
vallée. L’enjeu, c’est de sortir de la route au
moins un million de tonnes de marchandises alors qu’aux deux
extrémités des Pyrénées les axes de transit
sont saturés. Pour aller jusqu’à Canfranc, je ne
conteste pas qu’il faille mobiliser d’autres financements.
Mais si la Région n’avait pas pris l’initiative de
réaliser cette première tranche, personne n’aurait
déboursé un kopeck.
Pau-Canfranc. Une ligne mythique. Mais sait-on qu’elle porte
officiellement depuis 2003 le nom de ligne Goya, en hommage au peintre
Francisco de Goya né près de Saragosse et mort à
Bordeaux ? Une idée du journaliste et écrivain Jean
Lacouture. Et un nom souvent mentionné par Alain Rousset,
président de la Région
Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, pour rappeler toute la dimension
internationale de la réouverture du tronçon Oloron-Bedous
le 26 juin prochain (pour une inauguration prévue le 1er
juillet).
Alain Rousset ne s’en cache pas. Certes, les voyageurs vont
pouvoir découvrir dès cet été toutes les
richesses d’Aspe, véritable vallée des merveilles
pour qui prend le soin de l’explorer. Une vraie bonne nouvelle
pour l’économie locale. Mais l’objectif final,
c’est bien de renouer le fil de la liaison
transpyrénéenne interrompue par le déraillement du
27 mars 1970 et la destruction du pont de l’Estanguet.
Le Graal recherché est la résurrection de la
Pau-Canfranc. Une liaison transfrontalière, au milieu de 400 km
de chaîne montagneuse, immense maillon manquant de nos relations
avec nos voisins espagnols entre les axes atlantiques et
méditerranéens.
Les enjeux économiques sont énormes puisqu’une
liaison vers Saragosse mettrait Pau, Bordeaux et le Nord de
l’Europe en contact direct avec la plus grande plate-forme de
fret d’Espagne. L’aspect environnemental n’est pas
neutre avec une RN 134 confrontée aux camions de part et
d’autre du tunnel du Somport. Mais c’est peut-être
aux niveaux historique, culturel et tout simplement humain que le
défi prend toute sa dimension.
La Pau-Canfranc est le symbole de deux pays qui se sont entendus pour
gravir des montagnes. Pendant la Première Guerre mondiale, des
ouvriers espagnols sont même venus en Aspe prendre le relais des
travailleurs français partis au front. Là encore une
anecdote qui en dit long...
Sûr que les rails seront semés d’obstacles
financiers et techniques pour parvenir jusqu’en Espagne. Mais le
premier pas est posé. Un vrai pari pour Alain Rousset qui met
102 millions d’euros sur la table pour rendre incontournable la
liaison jusqu’à Canfranc. Et un immense coup de poker dont
seule la suite de l’histoire (et de l’Histoire) sera le
juge de paix.